P.Degni & P.Desboeufs

Vos commentaires sur les réseaux sociaux vous font-ils courir un risque ? (1/2)

À la suite des injures essuyées par Jennifer Covo en réaction à son interview télévisée « musclée » d’Alain Berset, la Tribune de Genève interrogeait l’avocat Pierluca Degni dans un article publié le 16 décembre 2020, sur les contours de la liberté d’expression.

Comptant l’Étude genevoise Degni & Vecchio parmi nos clients, nous avons souhaité approfondir le sujet pour vous, à l’heure où Internet expose à des procès ad hominem et des jugements pouvant porter atteinte à la réputation des individus et des entreprises.

PC. Desboeufs. Qu’est-ce que le droit d’opinion ?
PL. Degni. C’est un droit garanti par la Convention européenne des droits de l’homme à son article 10, qui l’explicite clairement :
Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. (voir l’article complet). C’est précisément l’objet de l’article 36 de notre Constitution.

Puis-je dire que je déteste telle ou telle communauté ou groupe de personnes ?
Dans ce cas précis, cela peut être non seulement perçu comme, mais surtout qualifié d’incitation à la haine. L’article 261 bis du Code pénal suisse réprime les actes de refus explicite ou implicite d’accorder à des êtres humains l’égalité des droits ou même le droit à l’existence en raison de la couleur de leur peau ou de leur origine ethnique ou culturelle. Ces actes ne sont interdits que s’ils sont commis publiquement, c’est-à-dire s’il n’y a aucun lien personnel ou une relation de confiance entre les personnes présentes.
Cette disposition prévoit également le sujet du racisme. La teneur exacte de la norme pénale est la suivante :
— Celui qui, publiquement, aura incité à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ;
— celui qui, publiquement, aura propagé une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les membres d’une race, d’une ethnie ou d’une religion ;
— celui qui, dans le même dessein, aura organisé ou encouragé des actions de propagande ou y aura pris part ;
— celui qui aura publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité ;
— celui qui aura refusé à une personne ou à un groupe de personnes, en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse, une prestation destinée à l’usage public, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

L’orientation sexuelle est souvent visée sur les réseaux sociaux. Y a-t-il une défense possible face à cela ?
Depuis le 1er juillet 2020, la discrimination basée sur l’orientation sexuelle est spécifiquement punie par la loi. Une insulte proférée contre autrui en raison de son orientation sexuelle s’accompagne du délit de diffamation et de discrimination si l’on a diffusé cela dans l’espace public, notamment sur les réseaux sociaux. Le parlement discute actuellement de l’insertion d’une notion de sexisme (discrimination fondée sur le genre d’une personne), qui n’est pas encore considéré comme une infraction pénale poursuivie d’office.

Quand y a-t-il diffamation ?
L’article 173 du Code pénal la définit ainsi :
Celui qui, en s’adressant à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l’honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, celui qui aura propagé une telle accusation ou un tel soupçon, sera, sur plainte, puni d’une peine pécuniaire (voir la loi complète).

Quand y a-t-il injure ?
L’article 177 du Code pénal la définit ainsi :
Celui qui, de toute autre manière, aura, par la parole, l’écriture, l’image, le geste ou par des voies de fait, attaqué autrui dans son honneur sera, sur plainte, puni d’une peine pécuniaire de 90 jours-amende au plus (voir la loi complète).

Le Droit pénal suisse s’étend donc aux réseaux sociaux ?
Oui, bien sûr, Internet n’étant pas une zone de non-droit. Insulter autrui sur FB ou Instagram tombe sous le coup des mêmes conséquences pénales. Comme dans la rue, une procédure ne peut être engagée que sur la base d’une plainte de la personne visée. C’est d’ailleurs souvent ce qui décourage de donner des conséquences judiciaires à des échanges houleux. Il en est de même sur Internet, où il faut savoir faire la part des choses avant de s’engager dans une démarche juridique. Cela étant, sur dépôt d’une plainte, l’anonymat d’un compte peut être levé.

On l’a vu dans l’affaire Rochebin, le quotidien le Temps a livré un article accusatoire, aux conséquences dramatiques pour le présentateur. Est-ce un droit de la presse ?
On ne peut interdire un journal d’informer ses lecteurs sur l’actualité, ou même des pratiques scandaleuses ou abusives. Pour échapper à la sanction pénale, le ou la journaliste doit toutefois être en mesure de prouver que ses allégations sont conformes à la vérité ou qu’il/elle avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies, et enfin que les informations ainsi distillées respectent l’intérêt public (droit à l’information).
Le Temps fait actuellement l’objet d’une plainte de la part de Darius Rochebin et, bien qu’on imagine difficilement que le média ne dispose pas de quoi étayer ses allégations, ces conditions représentent les seuls moyens de bénéficier de la preuve libératoire . Souvent, hélas, le fait d’être dénoncé suffit à être irrémédiablement discrédité. Si la presse a la liberté d’abattre médiatiquement une personne, elle a aussi le devoir de s’interdire toute malveillance.
S’agissant des réseaux sociaux, le principe est le même., à la différence notable que ceux-ci (Twitter, Facebook, etc.) ne sont pas, en l’état et judiciairement parlant, tenus directement responsables des propos haineux qui pourraient circuler sur leurs plateformes. Diverses tentatives de faire condamner un réseau social, dans des situations où l’auteur des propos illicites n’avait pu être identifié, ont systématiquement échoué (classement des plaintes, notamment en France cf. article du Point).

En « likant » un contenu, peut-on être inquiété ?
Oui, car en relayant des propos discriminatoires ou injurieux, on les fait en quelque sorte siens et surtout on en favorise une diffusion plus large encore. Il faut donc impérativement s’abstenir de s’associer à un contenu illicite, par un commentaire « surenchérisseur » certes, mais aussi par un « simple  like », ce qui est d’ailleurs désormais confirmé par la jurisprudence du Tribunal fédéral.

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